Lettre ouverte du Comité mobilisation du BAIL
Pour que les locataires puissent faire valoir leurs droits en cas d’abus, encore faut-il que les propriétaires ne les en empêchent pas. Au Bureau d’animation et information logement (BAIL), un comité logement de la région de Québec, nous constatons que nombre de locataires renoncent à se défendre ou croient faussement ne pas en avoir la possibilité, parce qu’ils sont soit manipulés, soit trompés par leur propriétaire[1].
Trop souvent, des locataires faisant appel à notre service d’information juridique relatent être menacés par leur propriétaire, dès lors qu’ils tentent de défendre leurs droits. C’est notamment le cas de Khadija et Amir[2], qui ont accepté sous la contrainte une hausse de loyer abusive. Après avoir reçu un avis d’augmentation de 250 $ par mois, les locataires, parents de deux enfants, ont avisé leur propriétaire qu’ils refusaient cette hausse injustifiée. Immédiatement, le propriétaire les a menacés de reprendre leur logement, s’ils ne consentaient pas à l’augmentation. Craignant pour le bien-être de leur famille, Khadija et Amir ont finalement cédé aux menaces du propriétaire.
Le mépris constitue, comme on nous le rapporte régulièrement, un autre procédé employé par les propriétaires pour dissuader les locataires de faire respecter leurs droits. Prenons l’exemple de Julie, dont le logement était infesté par la moisissure. Informé par la locataire qu’une poursuite serait entamée contre lui s’il ne corrigeait pas la situation, le propriétaire, plutôt que de prendre des moyens concrets pour régler le problème, s’est efforcé de discréditer la jeune femme. « T’es rien qu’une BS ! Penses-tu qu’un juge va t’croire ? Moi, j’contribue à’ société, pas toi », lui a-t-il lancé. Convaincue de ne pas avoir la légitimité de se défendre, Julie a renoncé à se battre. Ce n’est que plusieurs mois plus tard, alors que sa santé respiratoire s’était dégradée, qu’elle nous a contactés pour reprendre ses démarches.
Dans notre pratique, nous observons en outre que de nombreux propriétaires induisent en erreur les locataires, en leur laissant croire qu’aucune loi ne les protège. L’histoire de Claudette, une locataire âgée à la santé fragile, constitue un exemple parfait. Prétextant une simple visite de courtoisie, le nouveau propriétaire de Claudette s’est présenté chez elle. Il l’a persuadée de signer une convention de résiliation de bail, alléguant faussement que la loi l’autorisait à l’expulser pour rénover son logement, et ce, sans possibilité de contestation. Ce n’est qu’après avoir communiqué avec nous, sur encouragement de son fils, que Claudette a réalisé avoir été trompée par son propriétaire.
En recourant à la menace, au mépris ou au mensonge, les propriétaires ne cherchent pas simplement à empêcher les locataires de se prévaloir de leurs droits; ils assoient leur domination sur les locataires et les soumettent à leur volonté. Pour rééquilibrer les rapports locatifs, nous sommes d’avis que la législation actuelle doit être révisée, sans plus tarder, en faveur des locataires, notamment par l’instauration d’un contrôle obligatoire des loyers, l’adoption d’un code provincial en matière de salubrité des logements et le renforcement des règles protégeant le droit au maintien dans les lieux.
[1] Les trois types de procédés (menace, mépris et mensonge) dont il est question dans cette lettre ont été identifiés dans le cadre d’une recherche doctorale en sociologie, portant sur la production des inégalités entre propriétaires et locataires et la manière dont elles sont expérimentées par ces derniers. Voir Goyer, Renaud (2017). Déménager ou rester là ? Rapports sociaux inégalitaires dans l’expérience des locataires [thèse de doctorat inédite]. Université de Montréal.
[2] L’ensemble des cas présentés sont réels et ont été portés à l’attention du BAIL au cours des derniers mois. Par souci de confidentialité, les noms des locataires ont été modifiés et les faits légèrement altérés.